ANTIGONE

Il est des mythes que le temps ne délave pas.

Antigone en est un.

Chaque époque la réveille, la défigure, la ressuscite —sans jamais pouvoir la réduire au silence. Antigone est un regard qui ne se détourne pas, une conscience qui persiste malgré la menace, une voix que l’oubli ne peut engloutir.

Mais que reste-t-il d’elle aujourd’hui ? Dans un monde où l’éphémère écrase la mémoire, où le cri se dissout dans le vacarme des illusions, où la loi elle-même tangue entre ordre et ruine ?

Dans cette adaptation, nous avons arraché le mythe de son marbre. Nous l’avons jeté dans un nulle part, hors du temps, hors des murs, où le tragique prend feu. La cité a disparu. Il ne reste qu’un champ spectral. Des ombres. Des indigents. Des morts qui répètent leur chute.

Créon n’est plus roi — il est la voix d’un ordre qui s’écroule. Face à lui, Antigone ne crie pas seulement pour un frère. Elle hurle contre l’effacement, contre l’indifférence, contre le vertige du néant. Nous avons voulu que son cri s’entende comme une lame : lyrique comme l’antique, violent comme le métal. La musique originale, composée pour cela, est une gâchette active, une déflagration. Un bourdonnement. Elle exhume. Elle déterre les morts. Entre le souffle du chœur antique et la rage contemporaine, entre l’écho des ancêtres et l’électrocution sonore du présent, la tragédie prend une dimension électrique.

Polynice n’est plus qu’un corps oublié. Il devient le nom de tous les effacés, de ceux oubliés dans le néant des statistiques, des archives et des déserts numériques.

Il est celui qui appelle à ne pas fermer les yeux. Qui juge ? Qui voit ? Qui détourne le regard ?

Regardez ses yeux.